La Safer – Evolution et Ambitions – Interview de Christian Orsucci – PDG

1 – Qu’est ce qui fonde l’existence des Safer ?

 Les Safer sont nées dans les années 60  au niveau national ; elles résultent d’une réelle volonté politique d’aménagement du territoire agricole français.

Leur originalité réside dans l ‘obtention d’un droit de préemption en vue de la régulation du prix des terres.

La Safer Corse a été mise en place en 1977 à la demande des organisations professionnelles agricoles. Elle fait suite aux événements d’Aléria en 1975.

Sa mission première a consisté en une meilleure redistribution des terres aux agriculteurs corses qui avaient été lésés lors de la première mise en valeur de la Corse.

2 – La Safer a donc 40 ans, quelles ont été ses principales évolutions ?

 Si elle a su exister depuis 40 ans, et ce malgré de nombreuses vissicitudes, c’est que la Safer Corse répond à un réel besoin de gestion foncière.

Au fil du temps, nos missions ont évolué et aujourd’hui, la prise en compte du foncier s’effectue dans un espace multifonctionnel évoluant rapidement et sans cesse confronté à diverses pressions foncières.

Ces évolutions ont nécessité la mise en place d’une stratégie d’intervention foncière faisant de la Safer un véritable opérateur foncier au cœur de l’aménagement rural et périurbain.

Comme toutes les autres Safer, la Safer Corse a procédé à la modification de sa gouvernance en 2017. Celle-ci a été rendue obligatoire suite à la réforme administrative des régions. Notre Conseil d’Administration comprend désormais la profession agricole, les collectivités territoriales ainsi que l’ensemble des acteurs économique du territoire rural.

3 – Et l’agriculture alors ?

 Le foncier agricole reste « l’objectif majeur » de notre stratégie ; la mobilité et l’offre foncière agricole en Corse sont très faibles et ne permettent pas de rassurer toute une profession agricole soucieuse et inquiète de ne pouvoir s’installer, voire améliorer la structure foncière de leurs exploitations.

4 – L’action de la Safer est souvent critiquée ? Qu’avez-vous à répondre à cela ?

 Ceux qui nous critiquent ne sont pas dans l’action, connaissent mal la Safer et ne proposent en retour aucune solution. Je préfère les critiques constructives et objectives aux allégations et amalgames en tout genre.

En réalité, cela est bien plus difficile : être dans l’action foncière exige la prise en compte d’éléments d’appréciations divers et variés qui créent la complexité du marché foncier.

Nous sommes, par exemple, les seuls à lutter contre la spéculation foncière et cette action consiste à protéger les terres agricoles en exerçant notre droit de préemption.

La Safer ne serait pas là et tous les ans, ce sont entre 100 à 150 ha de terres agricoles qui partiraient en d’autres mains et évidement vers d’autres destinations bien plus lucratives.

Cette prérogative d’ordre public, nous sommes les seuls à l’utiliser et ce de manière systématique.

On nous reproche également  de ne pas intervenir dans certains cas relevant du contournement de notre droit de préemption. Il existe un certain nombre d’exemptions au droit de préemption des Safer prévues par le législateur et devant lesquelles nous ne pouvons intervenir. Ce cadre règlementaire, que nous savons très restrictif, demanderai à évoluer tout en prenant en compte nos spécificités régionales.

Nous travaillons quotidiennement à l’élargissement de ce cadre que ce soit au niveau local ou national.

Les enjeux fonciers en Corse, mais aussi l’organisation spatiale et historique de ce foncier exigeraient à la fois une adaptation juridique mais aussi une réelle politique d’aménagement.

4 – Avez-vous les moyens de vos ambitions ?

 Les Safer ont en charge le volet foncier des politiques publiques ; l’opérateur foncier que nous sommes ne peut être que le « bras armé » de ces politiques ; dès lors nos ambitions sont intimement liées et dépendantes de cette volonté publique.

La problématique foncière en Corse rendrait légitime de se doter, et ce dans un large consensus, d’une stratégie foncière ambitieuse fixant des objectifs à moyen terme.

Le rôle et la mission de la Safer prendrait alors toute leur dimension au regard de ses prérogatives et de son expérience acquise durant ces 40 dernières années.

5 – Vos relations avec la Collectivité de Corse ?

 La Collectivité de Corse via l’ODARC finance la Safer dans le cadre de notre mission de service public à hauteur de 210 000 €/an.

Aucune autre action foncière ne bénéficie de financement, c’est-à-dire que nous assumons seuls, par exemple, le risque financier portant sur les préemptions. Ces dernières sont réalisées dans un cadre d’intérêt général et ont pour objet principal de protéger les terres agricoles.

Je rappellerai quand même que le coût des contentieux générés principalement par les préemptions représentant d’une année sur l’autre entre 45 à 90 000 € pour la Safer. Ces frais sont liés exclusivement à la défense de notre mission de service public.

L’arrivée récente du nouveau président de l’ODARC, Mr Lionel MORTINI, nous permet d’envisager des perspectives plus encourageantes et volontaristes portant sur un dispositif que l’on veut efficace à savoir :    – un fonds foncier permettant le stockage des terres,

– une animation foncière en vue de mobiliser du foncier

Ce n’est certainement que le début d’un partenariat basé sur la confiance mais aussi sur une vision commune et cohérente des actions foncières à mettre en œuvre et visant le développement agricole.

6 – Le PADDUC a-t-il un effet positif sur les terres agricoles ?

 Le PADDUC a le mérite d’exister ; il n’est ni plus ni moins qu’un outil de régulation des terres dans un espace donné.

Pour autant, si aucune action n’est entreprise, notamment dans les Espaces Stratégiques Agricoles, cet espace restera figé dans le temps et donc beaucoup de terres resteront improductives et incultes.

Il est donc nécessaire d’opérer des actions de nature à libérer des terres agricoles, souvent bloquées par des mises en attentes spéculatives, afin de disposer d’offres foncières suffisantes et de permettre leur mise en valeur.

C’est ce partenariat là que nous sommes en train de construire avec le président de l’ODARC.

7 – Quels sont vos projets ?

 Nos deux principaux projets en cours sont :

  • Un document intitulé le « Zéro Friches » ; il s’agit de propositions stratégiques et prospectives visant à la reconquête des friches agricoles afin de les réinsérer dans un système de production agricole ; Un des enjeux portera sur la maitrise et la valorisation de ces terres.
  • Le 2e concerne ce que j’évoquais plus haut, c’est-à-dire de faire des propositions d’adaptations législatives voire réglementaires afin de juguler au maximum les tentatives de contournement de notre droit de préemption. Une des conséquences première est la financiarisation de notre foncier qui risque de remettre en cause le modèle de notre agriculture familiale et de rendre impossible l’installation de jeunes agriculteurs.

Nous nous efforçons de faire prendre en compte ces problématiques dans le cadre d’une prochaine loi foncière.

Toutefois, il me paraît nécessaire d’aller plus loin, de mener une réflexion approfondie en poursuivant 2 objectifs cruciaux :

  • Mieux préserver et protéger le foncier agricole
  • Mobiliser, aménager et valoriser ce même foncier

 

Retrouvez cet article sur le site de Corse-Matin : https://www.corsematin.com/article/article/nous-sommes-les-seuls-a-lutter-contre-la-speculation-fonciere

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